La Ferme ou Métairie de la Femme Morte de Vermenton

La Ferme ou Métairie de la Femme Morte de Vermenton

Nombre de lieux habités ont disparu au cours du temps. Quelques générations ont suffi pour les oublier. L’archéologie exhume certains d’entre eux, d’autres sont cités dans de vieux documents, mais souvent leur localisation dans la commune où ils se situaient demeure incertaine, voire souvent ignorée. 

Et il y a aussi ces lieux-dits [1] que l’on trouve sur les cartes IGN et cadastres qui portent le nom d’une ancienne construction [2], ou d’un événement oublié depuis longtemps [3]

À Vermenton, il existe un ces lieux qui n’apparaît pas dans l’historique de la commune mis en ligne par la municipalité. Et pourtant, pendant des siècles, il été un lieu de travail et de vie, les deux étant interdépendants. Des gens y sont nés, y sont morts, et de nos jours certains en sont les descendants.

La route actuelle qui va de Sacy à la nationale, après un dernier virage à gauche mène face à Reigny. La Carte de Cassini n’indique pas ce tronçon. Cependant sur le plan d’Essert de 1806, cette voie y figure. Sur la Carte de Cassini, un chemin partait de ce virage et débouchait entre l’abbaye de Reigny et Vermenton. A priori, c’est le même chemin qui subsiste de nos jours.

La Femme Morte, Carte de Cassini (1750)

Depuis ce virage, de part et d’autre de cette route menant face à Reigny (donc sur les paroisses d’Essert et Vermenton), se trouve un espace agricole nommé « La Femme Morte ». 

En bordure du chemin précité, près du virage, au niveau des « Vaux de Reigny », il y avait une métairie aujourd’hui disparue nommée « Métairie de la Femme Morte » ou « Ferme de la Femme Morte ».

Cette métairie est représentée sur la très précise carte de Cassini qui la désigne par l’appellation « la femme morte ». Cette carte date pour notre département aux alentours de 1750. Cette ferme existait déjà bien avant la carte de Cassini comme l’attestent certains actes dans les registres de paroissiaux.

Il semble logique de penser que l’appellation du lieu dit « Femme Morte » soit antérieur à celui de la métairie qui a pris son nom. La consultation des registres  paroissiaux de Vermenton ne nous apprend rien à ce sujet. Cette femme morte restera une inconnue.

Ainsi au cours de la consultation des registres de baptêmes, mariages et sépultures de Vermenton et autres paroisses, ont été relevés quelques actes concernant des habitants de cette métairie, mais jamais le propriétaire n’y est mentionné. 

Le problème qui se pose, que ce soit à Vermenton ou ailleurs, est que les curés des paroisses indiquent rarement le lieu de naissance ou de décès des gens, quelque soit le hameau ou le lieu-dit où ce dernier s’est produit. La paroisse est considérée souvent dans son ensemble, et cela parce que les actes sont des actes de baptêmes ou sépultures et sont célébrés à l’église et non des actes de naissances ou décès, dont les dates ne sont pas non plus toujours précisées. Mais il en a été de même sous la République pour les actes de naissances ou décès, le terme « commune » englobant l’ensemble du territoire. Il est donc parfois difficile de localiser les familles dans les différents hameaux des paroisses. 

Cependant, pour une certaine période nous avons de la chance : Germain Gallet a tenu la Cure de Vermenton pendant de nombreuses années. D’abord comme vicaire (1659-1661) puis curé (1662-1709), et au cours de sa fonction il a pris pour habitude d’indiquer en marge le lieu de domicile des gens quand il n’était pas celui du bourg [4], ce que ne faisaient malheureusement pas ses vicaires.

Quelques familles de la métairie de la Femme Morte qui nous remontent dans le temps ont pu être relevées lors de la consultation des registres :

– Le 15 novembre 1774, baptême de Anne fille de Pierre BOUDARD fermier de la Femme Morte et de Josette JEANNIN.

– Le 1er septembre 1772 : mariage de Pierre FEVRE, domestique à la métairie de la Femme Morte avec Josephe JANNAIN, servante et domestique depuis 6 mois à la métairie de la Femme Morte. Aucun des deux n’est originaire de Vermenton.

– Le 26 octobre 1738 est baptisée à Vermenton Marie fille de Marie SAUTEREAU, elle même fille de Nicolas SAUTEREAU du hameau d’Avigny paroisse de Mailly-la-Ville. L’enfant est née de père ignoré à la Femme Morte où la mère est depuis quelque temps (non précisé) servante et domestique.

– Nous avons la famille Toussaint CHARUE [Charru, Charut] laboureur à la Femme Morte, marié à Marie GUILLAUMOT [Guillomot] qui ont des enfants nés à la métairie de 1702 à 1710.

– Dans le même temps nous avons le couple Linard [Léonard] CHARUE et Brigide LARDON.

– Le 18 novembre 1697 à Nitry, Vivant GUINGOIS, manouvrier de Nitry épouse Marie GUILLAUMOT en présence de Jacques GUILLAUMOT laboureur à la Femme Morte paroisse de Vermenton. Ledit Jacques GUILLAUMOT est marié à Catherine SIMON de Nitry, et six enfants de ce couple sont nés à la Femme Morte de 1682 à 1696

– Le 18 septembre 1703, Jacques DORÉ [Dorey] né dans les années 1660 à Nitry, marié en 1684 à Barbe TRINQUET du même lieu, se tue en tombant d’un noyer à la Femme Morte. Transcription de l’acte :

Le mardy dix huictiesme jour de septembre l’an de Grace mil sept cent trois fut Inhumé dans notre cimetiere Jacques Doré natif de Nitry lequel tomba d’un noyer [note : l’acte copie précise « tombé du haut d’un noyer pour en abbattre les noix »] a la metairie de la femme morte si malheur ay qu’estant tombé la teste sur la pierre expira aussy tôt. Mr le Conseiller Regnard Lieutenant de la Terre ma dressé son proces verbal sur la bonne vie et fidelité dud. deffunct dont Jay veu la devotion dans l empressement qu’il eu de faire donner le viatique a sa femme et le long tems qu’il demeura devant le St sacrement apres qu’on le eu porté a sa femme donnant l’assurance qu’il en eut fait se semblable s’il eut eté malade au lit sa fille Barbe et les 2 autres enfans nont pu signer. Signé : G Gallet. 

le chemin au bord duquel se trouvait la métairie de la Femme Morte

– Pierre PONSOT né vers 1617, originaire de Lucy-sur-Cure avec sa femme Marie SOLIVEAU née vers 1633, du même lieu, s’établiront à la Femme Morte. Marie SOLIVEAU y décédera le 28 octobre 1668. Son mari retournera à Lucy-sur-Cure où il décédera en 1687. 

– Et puis nous avons la famille ROSSIGNOL. Sébastien ROSSIGNOL est laboureur et métayer à la Femme Morte. Il est marié à Marguerite GIRARD (ca 1649-1685). Sept enfants du couple ont été relevés, nés à la Femme Morte de 1668 à 1683. Vingt jours après le décès de sa femme, Sébastien ROSSIGNOL épouse à Vermenton Barbe ANCEAU veuve de Jean JOLLY.

La métairie se situait entre le chemin et les « Vaux de Reigny »  au pied de la colline

– Dans le même temps nous avons le couple Hélie ROSSIGNOL marié à Marie NOLIN demeurant à la métairie d’Essert. Il existait à l’époque une métairie dite métairie d’Essert ou métairie de Messieurs les Religieux de Reigny ou plus simplement métairie de Reigny. La métairie de la Femme Morte et celle d’Essert ne devaient pas être bien éloignées [5]. Le 29 novembre 1682 est baptisée à Vermenton (née à la Métairie d’Essert) Marie fille de « Helye » ROSSIGNOL et de Marie NAULIN. La marraine est Marie ROSSIGNOL fille de Sébastien de la Femme Morte. Les actes permettent de savoir que par la suite ce couple d’Essert a déménagé à Sacy. Hélie ROSSIGNOL y est qualifié de laboureur (1688 & 1689). En 1691 il est dit métayer de la ferme de la Bretonne, qui donnera son nom à l’écrivain dit Rétif de la Bretonne qui y passera son enfance une cinquantaine d’années plus tard. Les actes de Sacy lient la famille de Hélie ROSSIGNOL à celle de Pierre ROSSIGNOL marié à Edmée BELIN de Sacy.

L’abbaye de Reigny vue au téléobjectif de la métairie de la Femme Morte

Les recherches approfondies ont permis de déterminer que Pierre, Sébastien et Hélie ROSSIGNOL sont frères, nés respectivement à Sacy en 1634, 1637 et 1646, fils de Jacques et de Jeanne TILLIEN (ca 1604-1672). Cette famille est visiblement liée aux métairies d’Essert, de la Femme Morte et de la Bretonne. Une génération avant nous avons Philiberte TILLIEN, née avant 1585. Elle est mariée à Jean COLLIN et tous deux demeurent à la ferme ou métairie de la Loge de Sacy. De 1605 à 1629 sept enfants du couple naîtront à la Loge.

Nous avons vu que la métairie de la Femme Morte était représentée sur la Carte de Cassini de 1750. Nous la retrouvons sur le plan de la commune de Vermenton, plan qui a été terminé le 30 Prairial an XIII (19 juin 1805).

Métairie de la Femme Morte, plan de la Commune du 30 mai 1805

La ferme apparaît toujours sur la carte de 1804 mais a disparu de la carte d’état-major 1820-1866. Aucune ruine n’y est représentée.

Sur la carte IGN de 1950, un petit carré noir est représenté à l’emplacement de la métairie. La légende de ce signe indique « case rectangulaire ».

localisation de la métairie de la Femme Morte

Nous ne savons donc pas exactement quand la métairie de la Femme Morte a été abandonnée. Peut-être que dans les registres d’État-Civil de Vermenton, un officier public plus consciencieux que les autres aura enregistré un acte de naissance ou de décès survenu à la Femme Morte, ce qui permettrait d’affiner les dates.

Toujours est-il que dans les années 1960, quelques ruines étaient encore visibles, dont l’entrée d’une cave voûtée [6]. De nos jours il n’en reste aucune trace.

 Ce que l’on voyait de l’Abbaye de Reigny – la métairie se situait au pied de la colline dite « les Poulettes »

[1] tout lieu nommé est un lieu-dit, indépendamment de l’existence de bâtiments. Les panneaux routiers annonçant des lieux-dits ont contribué à en fausser la définition dans l’esprit de certains.

[2] comme ces terres à la sortie de Sacy après la métairie de la Bretonne en direction de Joux-la-Ville nommées « La Chapelle ». Une chapelle « La Madeleine » aujourd’hui disparue y était implantée. Elle figure sur la carte de Cassini (1750) et l’écrivain Rétif de la Bretonne ( (1734-1806) qui demeurait à proximité en parle dans ses récits de jeunesse.

[3] comme le Vau Bataille à Sacy. Il y a-t-il eu un combat dont l’Histoire locale n’a plus souvenance ?

[4] Ainsi nous avons le Val-du-Puits de Vermenton, le Val-Saint-Martin, Courtenay, mais aussi Reigny et Essert. L’abbaye de Reigny n’étant pas dotée de fonts baptismaux, Essert l’a été courant 1786 à la veille de la révolution, les gens de l’abbaye de Reigny venaient faire baptiser leurs enfants à Vermenton ou Lucy-sur-Cure, tout comme ceux d’Essert qui allaient également à Sacy et à un degré moindre à Joux-la-Ville. Curieusement « la ferme de la Loge » a parfois été inscrite en marge sur les registres de Vermenton, alors qu’elle dépend de la paroisse de Sacy, certainement pour convenances personnelles, comme l’ont fait les sieurs de Courtenay de Vermenton qui dans la première moitié du XVIIè siècle venaient acter à Sacy (voir le billet sur Jeanne DEGAN). 

[5] Il suffit d’observer les cartes : les métairies sont situées pour certaines à la sortie du village (métairie de la Bretonne à Sacy, la Métairie à la sortie de Nitry en direction de Joux-la-Ville avant la bretelle d’autoroute), ou en limite des terres des paroisses (La Loge pour Sacy, Vormes, Noiret pour Nitry, la Femme Morte pour Vermenton). Partant de ce principe il est possible que la métairie d’Essert ait été située à l’emplacement actuel du haras d’Essert, anciennement élevage de chèvres qui donnait ce fromage « L’Essert ».

[6] Merci à Monsieur Jean-Claude FERLET, ancien maire de Vermenton & pendant 16 ans Président de l’Association « Les Amis de Vermenton » avec sa revue « Grappillage » de nous avoir fourni ce renseignement et communiqué la photo de la ferme représentée dans l’Atlas.

Atlas Bourgogne 1759
Les commentaires sont clos.